Lettre ouverte à M. Mettling

Lettre ouverte à M. Mettling

suite à votre courriel aux managers du 4 mai dernier

 

Monsieur,

La Direction a jugé nécessaire d’adresser le 4 mai dernier un message - copie jointe en fin d'article - dont vous êtes le signataire, à tous les managers du Groupe en France.

Vous leur confirmez que le climat social dans l’entreprise est « apaisé » ; mais vous attirez leur attention sur des facteurs susceptibles d’entretenir un malaise et vous mentionnez les outils à leur disposition pour y faire face…. presque trop discrètement. En effet, tout à la fin de votre message, après la signature, figure une phrase isolée, comme une note sans importance : « Retrouvez le flash sur la campagne d’information sur les numéros verts et les cellules d’écoute ».

Les numéros verts sont des services d’assistance psychologique ; les cellules d’écoute des réunions à huis clos entre la hiérarchie, le médecin et l’assistante sociale. Ainsi, presque incidemment, les managers sont orientés vers deux outils qui réduisent les problèmes humains à une dimension strictement psychologique ou les traitent à l’écart au sein d’un groupe médicalisé. Une telle approche, après la crise sociale que France Télécom a traversée, et les conclusions pourtant claires des différents audits menés à cette occasion, semble faire fi de toute nécessité de réviser l’organisation du travail… ou considérer que ce travail là est terminé dans l’entreprise, ce qui n’est ni le vécu des personnels, ni les analyses que nous pouvons en faire au travers de nos missions de représentants du personnel.

Apparemment motivé par le souci de la santé des personnels, ce courrier, qui vibre de résonnances humanistes, véhicule de manière plus cachée et plus insidieuse des injonctions sur la vision de l’entreprise, de son proche avenir, de son management et de la place des femmes et des hommes qui la composent, dans une pratique du double-langage qui est devenue la norme à France Télécom. Il nous a donc paru utile de procéder à un décryptage des termes soigneusement pesés de ce texte.


Le social : un monde à part dans l’entreprise ?

« Depuis plus de deux ans, est-il écrit, l’entreprise a mené une transformation de son modèle social qui a pris appui sur notre contrat social et sur les accords signés avec les organisations syndicales ».

Cette première phrase éclaire immédiatement une vision de l’humain: elle fait du « social » un monde à part dans l’entreprise, un monde que l’on peut modéliser et gérer de manière indépendante de tout le reste. Mais peut-on véritablement transformer les relations entre les gens, leur place dans le groupe, vouloir leur épanouissement et leur bien-être sans toucher à l’organisation du travail, aux conditions du travail, elles mêmes assujetties à l’objectif prioritaire du groupe, le bonheur de l’actionnaire ? Mais, toute la suite du message va le confirmer, vous faites comme si les problèmes sociaux dans l’entreprise étaient déconnectés des facteurs économiques et financiers, alors même que, nous allons le voir, vous écrivez l’inverse.

Ce « modèle social » prendrait appui sur le contrat social mis en place et sur les accords signés avec les syndicats.

Mais le « contrat social » - que les personnels n’ont pas signé - est tellement ambitieux (158 engagements de la Direction !) et vaste dans son contenu qu’il est incontrôlable ; quant aux accords, les syndicats ont fait valoir depuis longtemps qu’ils sont inconnus de la grande majorité des managers et de la filière RH ; et s’ils sont ignorés, ils ne sont pas appliqués. D’ailleurs, le doute à ce sujet a suscité il y a peu le lancement d’un audit sur leur mise en œuvre dans l’entreprise.

Ce qui ne vous empêche pas d’écrire à la suite, à propos du contrat social et des accords : « Ces dispositifs innovants et uniques ont été déployés au plus près du terrain grâce à l’engagement de tous ».


Des indicateurs judicieusement choisis

« Le baromètre social et de nombreux indicateurs témoignent de la pertinence de notre action commune et d’une situation sociale globalement apaisée ».

L’adjectif « apaisé » que l’on retrouve systématiquement dans la bouche des cadres dirigeants de France Télécom – Orange, depuis au moins un an, pour qualifier le climat social dans l’entreprise montre à lui seul que ce message est bien porteur du discours officiel sur le Groupe.

Quant au baromètre social qui prouve que cela va mieux – ce qui n’est pas nécessairement faux comparé à la répression imposée par l’ancienne équipe dirigeante de France Télécom - il serait honnête de rappeler qu’il s’agit d’une enquête « maison » dont vous contrôlez les éléments et leur analyse. Ce courrier ne mentionne que le baromètre qui porte sur le Groupe en France, car la même enquête sur le plan international - mise en place cette année - est tellement mauvaise qu’il n’y est fait qu’une brève allusion sur le blog de Stéphane Richard et que vous avez préféré reporter à l’année prochaine la publication de ses résultats, en espérant, sans doute, qu’ils seront meilleurs.

On pourrait d’ailleurs objecter, sans difficulté, un certain nombre d’indicateurs qui ne vont pas nécessairement dans le sens souhaité par la Direction. Ainsi, depuis le début de l’année (pour se limiter à cette période récente), la Direction a présenté au Comité Central d’Entreprise treize projets de réorganisation pour recueillir l’avis des représentants du personnel. Aucun n’a reçu un avis favorable. Mais à aucun moment la Direction n’a jugé nécessaire d’amender ces projets dans le sens des réserves ou des propositions faites par les représentants. Il n’est donc pas difficile d’en conclure que ces échanges sont, pour la Direction, une simple obligation légale par laquelle il lui faut en passer, avant de mettre en place, quoi qu’il arrive, ce qu’elle a décidé.


Si cela va mal, c’est la faute de la crise

Passons maintenant à ce qui, dans ce contexte « positif », doit néanmoins, selon vous, susciter de la « vigilance » de la part des managers.

« La situation externe délicate que nous connaissons ainsi que notre nouvel environnement concurrentiel peuvent créer des situations génératrices d’inquiétude et fragiliser certains ».

En langage plus direct, la persistance de la crise économique et la création des offres mobile très bon marché de Free, concurrentes directes de celle du groupe sont désignées comme causes possibles à la recrudescence d’un malaise interne  ; la publication des résultats de la société au premier trimestre montre d’ailleurs une réduction du chiffre d’affaires et des parts de marché d’Orange, et c’est bien de ce rapport qu’il s’agit, même si le courrier évite soigneusement d’y faire référence.


De cette phrase tarabiscotée, les destinataires peuvent cependant sans difficulté tirer la conclusion que le management de France Télécom -Orange est d’ores et déjà exempt de toute responsabilité. Mais des situations externes à l’entreprise ne peuvent pas créer directement du malaise interne ; sauf si les cadres dirigeants prennent des décisions qui vont constituer un relai interne aux éléments externes. Ce qui est très certainement le cas ; il y aura donc bien une responsabilité interne à une éventuelle recrudescence du malaise « social » et il pas difficile d’imaginer les décisions concernées : reprise de la réduction des effectifs, pressions supplémentaires sur la réduction des dépenses, flexibilité croissante pour réagir au marché, etc. ; des choix qui ne sont pas nouveaux mais qui vont s’intensifier et qui ont des conséquences directes sur la gestion des équipes, sur l’emploi et les conditions de travail.


Les canards boiteux

« Il est de notre responsabilité de rester plus que jamais attentifs aux situations de risques psychosociaux que nous pouvons déceler dans notre situation de travail ».

Le mot « responsabilité » est enfin écrit, mais non pas pour désigner la responsabilité d’un système de management qui concrétise des décisions génératrices de stress pour les personnels, mais - selon un discours maintes fois ressassé - la responsabilité de « déceler » au sein d’équipes qui vont globalement bien, quelques canards boiteux, cachés et fragiles. Dans une entreprise « apaisée », le malaise d’un salarié ne peut s’expliquer que par des caractéristiques qui lui sont propres. D’ailleurs plus loin dans le message, les expressions habituelles insistent sur les aspects strictement personnels et émotionnels de ces éventuelles inadaptations, comme « souffrance individuelle » « histoire de chacun » « situations individuelles les plus douloureuses », dans une volonté de réinterpréter le réel qui vise, depuis toujours, à nier les responsabilités de l’entreprise et les malaises collectifs.

En conséquence, les managers n’ont pas besoin de se casser la tête pour tenter de comprendre les raisons d’un éventuel problème au sein de leur équipe : le message de la Direction est là pour les leur fournir a priori et en faire l’analyse à leur place, de peur qu’ils ne se trompent.


Des outils bien sélectionnés

Et, pour finir, la question des moyens : comment un manager peut-il résoudre ces dysfonctionnements isolés, étrangers au monde professionnel auquel on lui demande de se consacrer ?

« En prenant appui sur l’ensemble des dispositifs mis en place au sein de l’entreprise » dit le courrier.

Une formulation qui donne l’impression que l’entreprise n’a pas lésiné sur les moyens, mais qui reste peu précise ; heureusement, tout à la fin du message, après la signature, l’attention est attirée sur une phrase isolée, comme une note sans importante, détachée du message :

« Retrouvez le flash sur la campagne d’information sur les numéros verts et les cellules d’écoute ».

Les numéros verts sont des services d’assistance psychologique ; les cellules d’écoute des réunions à huis clos entre la hiérarchie, le médecin et l’assistante sociale, mais sans le salarié qui manifeste un problème, ou un représentant choisi par lui. Ainsi, presque incidemment et comme sans relation avec le mail, les managers sont orientés vers deux outils qui réduisent les problèmes humains à une dimension strictement psychologique ou les isolent au sein d’un groupe médicalisé.

De plus, ce sont des actions curatives, mais où sont les outils qui, dans une démarche de prévention, anticipent les dangers dans les situations de travail afin de les éviter ? Bien sûr, la prévention toucherait à l’organisation du travail, à sa charge, sa répartition, à l’autonomie et aux moyens dont disposent les salariés (« fragiles » ou non) et visiblement, la Direction n’y tient pas.


L’équipe dirigeante : c’est la meilleure

Ce message vise à conditionner mentalement les managers pour les convaincre a priori que tout va bien : l’entreprise, ses cadres dirigeants, ses choix managériaux, le système est globalement bon. Si quelque chose ne va pas, c’est de la faute du contexte économique – le maillon le plus grand - et de la faiblesse psychologique de certains individus – le plus petit. Entre les deux, c’est à se demander si l’entreprise existe.

Oui, elle existe et ce mail fait, discrètement mais efficacement, passer l’information : compte tenu de la crise et de la concurrence accrue dans le domaine des mobiles, la Direction va augmenter ses pressions sur les personnels, mais, comme toujours, elle compte fermement sur les managers pour les appliquer, en échange du soutien total des cadres dirigeants ; les réactions sociales négatives – car il risque d’y en avoir - ne sont que le fruit de faiblesses individuelles, et doivent être traitées comme telles - évacuées - conformément au discours officiel immuable de La Direction.

Un tel message semble bien n’avoir, en fait, qu’un seul but : quelle que soit la situation économique et sociale, réaffirmer le pouvoir de l’équipe dirigeante, le caractère incontestable de ses choix et le rôle qu’elle attend de ses managers : la mise en œuvre de ses décisions sans se poser de questions.

En tant qu’organisation syndicale représentant les personnels, nous pouvons affirmer que les personnels attendent tout au contraire que l’entreprise leur donne les moyens de faire face à la crise et à l’augmentation de la pression concurrentielle en améliorant l’organisation et les conditions de travail… par exemple en faisant réellement appliquer les mesures signées par les organisations syndicales.

Nous restons à l’écoute des moyens prévus par la Direction pour y parvenir.

Nous vous prions de croire, Monsieur, en l’assurance de notre considération distinguée.

Anne-Marie Minella
Secrétaire national adjoint
Commission Conditions de travail

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