Interwiew d'Anne-Marie Minella - Observatoire du stress et des mobilités forcées - ARTE

 

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Anne-Marie Minella - Observatoire du stress et des mobilités forcées France Télécom/Orange

ARTE : Environ un quart des travailleurs de l'Union Européenne souffre de stress au travail (Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail). Cela représente des coûts énormes, aussi bien en termes de souffrance humaine que de performances économiques.

En fait-on trop peu pour lutter contre ce phénomène ? Pourquoi ce problème est-il si difficile à prendre en compte ?

Anne-Marie Minella : Pour répondre à des questions, qui sont par nature fragmentaires, il me semble qu'il faut partir d'une vision générale pour arriver au particulier donc aux réponses à ces questions.

Le stress au travail est difficile à prendre en compte car il remet en causes les bases même de l'organisation du travail. Cette organisation vise à mettre toute l'entreprise au service des financiers et plus particulièrement des actionnaires de l'entreprise.

Ainsi, les actionnaires - qui sont indifférents à l'activité des entreprises dans lesquelles ils investissent - attendent aujourd'hui une rentabilité folle de leurs capitaux (15%) et le plus rapidement possible et par tous les moyens, peu importe les dégâats sociaux qui en découlent (l'homme est un moyen et pas une fin). Cette financiarisation exige le moins de contraintes sociales et légales possibles et se fait donc sur l'exhaltation permanente de la libre concurrence pour permettre le maximum de circulation et d'efficacité pour les flux financiers et leurs détenteurs.

Cette "financiarisation" ou efficacité financière de l'entreprise repose notamment sur :

- une flexibilité maximum de l'activité - donc des ressources humaines - pour s'adapter le plus possible à toute évolution du "marché" dans le but de maintenir en permanence à court terme la rentabilité financière de l'entreprise; cette flexiblité est exigée en interne du personnel à qui l'on demande de s'adapter le plus rapidement possible à tous ces changements - à tous les effets de la concurrrence - en limitant les dépenses donc sans lui donner les moyens de s'adapter (formation par ex.) si tant est que cela soit possible. Elle a pour conséquence aussi des évolutions permanentes dans les organisations, les organigrammes, les métiers, qui déboussolent le personnel, lui font perdre ses repères, l'oblige à se remettre en cause en permanence = stress Cette flexibilité repose également sur l'usage croissant de la sous-traitance que l'entreprise peut augmenter ou diminuer plus rapidement que le personnel interne. Chez ces sous-traitants souvent dominent les CDD, et d'une manière générale la précarité au travail, qui concurrence les emplois dans l'entreprise sous-traitante (qu pratique la précarité sous d'autres formes, cf. ci-dessous dans l'individualisation) = stress.

L' organisation actuelle du travail fait porter à l'individu la responsabililté de tout ce qui lui arrive dans l'entreprise. C'est un transfert permanent de responsabilité qui se détourne contre lui. C'est une des raisons pour laquelle les gens cachent leur malaise dans l'entreprise : ils ont adhéré à une démarche qui finit par leur nuire; ayant intériorisé la demande, ils ont honte de ne pas être à la hauteur..

- une organisation industrielle du travail de plus en plus poussée qui - pour le plus grand nombre - décompose au maximum une activité en tâches segmentées sur un temps réduit lui aussi, exécutables par des machines ou des hommes travaillant comme des machines; cela permet une main d'oeuvre sans qualification, donc pas chère (produire en grande masse pour le moins cher possible) et des activités sur lesquelles on veut avoir tout contrôle par des indicateurs quantitatifs : objectifs de X éléments à produire, dans un laps de temps court sur tel segment d'activité = stress.

- des lieux de décisions faisant intervenir des institutions, des réglementations, des acteurs qui sont hors de l'entreprise (Europe, actionnaires...) ou au mieux dans l'entreprise en un seul point comme le CA - cela s'appelle "la gouvenance" d'entreprise dont personne ne donne jamais la définition - ils sont donc inaccessibles aux équipes/acteurs internes; ils tendent à faire du personnel (managers et équipes) de simples exécutants qui ne se réalisent pas dans leur travail = stress.

- une individualisation extrême du travail : les réorganisations permanentes, les mouvements permanents de personnel, les licenciements, la peur du chômage, les objectifs à atteindre défini salarié par salarié, le manque d'autonomie à tous les étages de l'entreprise, permettent d'isoler les gens, de les mettre en concurrence entre eux, de les rendre vulnérables et donc manipulables = stress.

- D'autant qu'on leur demande de prouver en permanence, dans l'instabilité générale, et la concurrence entre collègues ou avec les sous-traitants, leur employabilité, leurs compétences, leur utilité pour l'entreprise = stress...



ARTE : Les employeurs, les agences pour l'emploi, les syndicats, les caisses d'assurance-maladie, se donnent-ils vraiment les moyens pour lutter contre ce fléau et rechercher ensemble des solutions ?

A-M. M. : Je ne peux chercher à répondre que pour les employeurs (plutôt grands groupes) et les syndicats :

- les employeurs : en conséquence de ce que j'écris ci-dessus, les directions d'entreprise n'ont plus beaucoup de pouvoir, et sont intéressés aux résultats financiers par une rémunération qui en dépend comme les stocks options ou des parts variables assujetties à l'atteinte d'objectifs financiers. Ils sont donc habilement interessés à la financiarisation de l'activité.

- les syndicats : compte tenu notamment du fait que les décideurs ne sont plus les interlocuteurs des syndicats dans l'entreprise, le dialogue social entre les cadres dirigeants et les personnels/syndicats est vidé de son contenu. Les accords signés - quand il faut quand même donner l'impression du dialogue - ne sont maintenant plus que des grandes déclarations de principes plutôt éthiques qui ne contraignent pas l'entreprise. On entend parler partout de "bonnes pratiques" dans les entreprises qui dénotent le même état d'esprit : pas de contraintes, mais une liste de bonne recettes, un contenu "mou" qui n'a pas force de loi ni de nécessité....


ARTE : Y a-t-il d'autres acteurs qui devraient être impliqués ?

A-M. M. : Compte tenu du niveau de résistance au changement, les acteurs à trouver doivent avoir un périmètre de visibilité à la hauteur de celui du système à combattre pour être efficaces. A France Télécom, avant que le scandale des suicides n'éclatent, tous les acteurs sociaux susceptibles d'alerter l'entreprise l'avaient fait : inspection du travail, médecins du travail, par ex. Cela n'a servi rien.

Et compte tenu de la réduction du champ du service public, du pouvoir public, l'efficacité des acteurs publics diminuent de plus en plus (sécurité sociale par ex.)

Par contre, j'observe que les journalistes/médias sont des acteurs/moyens efficaces !

La rupture à France Télécom entre le refoulement et la mise en visibilité, c'est grâce aux médias qu'elle s'est faite. Il faut que les syndicats apprennent aussi à communiquer vers l'extérieur et à travailler avec les journalistes.

La rupture à France Télécom entre le refoulement et la mise en visibilité, c'est grâce aux médias qu'elle s'est faite. Il faut que les syndicats apprennent aussi à communiquer vers l'extérieur et à travailler avec les journalistes....


ARTE : Quels sont à votre avis, les meilleurs modes de prévention ?

A-M. M. : Si vous entendez par "les meilleurs" les plus efficaces, il n'y en a pas de définitifs, compte tenu de l'analyse que je fais de la situation; le meilleur mode de prévention, c'est la vigilance permanente de chacun au travail; ne jamais baisser les bras, ne jamais accepter les règles ét les solutions toutes faites pour notre bien et celui des autres :-) Je donnerais donc la préférence à la solidarité entre les salariés. Reconstruire cette solidarité, sur le terrain, avec son voisin est une nécessité; non pas pour pratiquer une charité bigotte, mais pour savoir que nous sommes tous les mêmes, tous par essence solidaires, tous soumis aux mêmes conditionnements sociétaux et politiques et que ce qui arrive à mon voisin et qui nie son "humanité" , je le vis peut-être aussi ou j'y contribue sans m'en rendre compte, ou je le vivrai demain.

Ensuite - prévention, dénonciation ou contestation - il faut - de toutes les manières possibles - redonner du pouvoir aux syndicats. Ils doivent eux-mêmes s'y mettre. C'est le seul contre-pouvoir au sein même de l'entreprise dont nous disposions. A défaut de collaboration entre les syndicats, il faut notamment continuer à développer d'autres collaborations comme celle des chercheurs et des syndicalistes - défendue par Bourdieu - qui reste une forme de co-construction possible - entre contestataires - de réflexions et solutions alternatives. Il faut donner plus de visibilité à ces formes de collaboration qui existent déjà.

ARTE : Quelle marge de manœuvre avons-nous pour changer un système économique qui repose essentiellement sur la concurrence, la croissance et l'accélération de la production ?

A-M. M. : Le système économique est contrôlé par la finance. Pour récupérer de la marge de manœuvre, il faut définanciariser les entreprises, réduire drastiquement la pression financière des actionnaires, des capitaux. Les décisions ne peuvent pas être locales, ou isolées, elles doivent être au moins au niveau d'un ou plusieurs pays et suppose des choix politiques (alors que le politique s'efface derrière la finance)....

Anne-Marie MINELLA
Déléguée syndicale CFE-CGC-UNSA à Services communication entreprises (SCE)
Membre de l'Observatoire du stress et des mobilités forcées chez France Télécom/Orange.

 


Extrait : Propos recueillis par Pascale CAMUS-WALTER – ©ARTE 19 mars  2012


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