REGAIN - Agences Distribution et Boutiques : jeu de massacre !
Rédigé par CFE-CGC Orange le . Publié dans Distribution.
Le projet annoncé de réorganisation d’Orange France « Regain » touche plus de 20 000 collaborateurs. Les AD (Agence Distribution : fonctions transverses & boutiques), et indirectement les Orange Store (OS) (deuxième réseau Orange issu des Photos services), seront particulièrement concernés avec un rattachement direct à une DGP (Direction Grand Public) au contour nébuleux.
Le projet Libellule, annoncé en 2022 et mis en œuvre entre 2023 et 2026, représentait un plan de restructuration du réseau de distribution. Il vise à transférer les boutiques d'Orange SA vers sa filiale à 100% Orange Store au nom d’une supposée réduction des coûts : un pacte social moins avantageux avec des personnels moins intégrés au groupe Orange.
Dix ans de transformations silencieuses, des signaux sociaux de nouveau au rouge et une réorganisation massive qui arrive sur un terrain déjà fragilisé. Derrière les promesses de compétitivité, de discours sur la flexibilité, d’incantations au collectif… Les méthodes et les conséquences sociales restent identiques : destruction d'emplois, précarisation, perte de compétences. Jamais les parts de marché sous la marque Orange n’ont été aussi basses dans l’histoire du groupe.
La distribution : d’errements en errements
Depuis plus de dix ans, les boutiques Orange subissent une transformation continue. Sous couvert de moderniser son réseau pour répondre aux attentes du terrain, la Direction a mené plusieurs plans d’austérité. Elle a parié sur un basculement massif vers le digital après le Covid, alors que les clients revenaient justement en boutique pour une expérience de service que le digital ne peut offrir.
Résultat : un réseau physique presque démantelé, passant de 1 151 boutiques en 2012 à 541 mi-2025, au point qu’Orange a compté moins de points de vente que SFR et Bouygues pendant plus de deux ans, un paradoxe pour un opérateur qui revendique le premium ! Dans le même temps, les effectifs des deux réseaux passant de plus de 9 000 à moins de 6 000 personnels entre 2012 et 2024. Une stratégie menée à contre-temps du marché, qui a fragilisé le réseau plutôt que de le moderniser.
Boutique d’Amboise symbole de centralisation
La fermeture (puis sa réouverture quelques années après) de la boutique d’Amboise est le symbole des décisions prises loin du terrain. Idéalement située au pied du château, portée par un flux touristique majeur, générant des ventes atypiques (ex : Orange Travel) et assurant un rôle d’assistance locale, a été fermée parce que les indicateurs « ne rentraient pas dans le modèle ».
Résultat immédiat : chute de 70 % à 40 % de parts de marché dans la ville, départ massif de clients vers SFR qui, apprenant la fermeture d’Orange, a aussitôt renoncé à fermer sa propre boutique. Un manque à gagner qui se chiffre en millions d’euros, bien supérieur aux prétendues économies, Amboise n’était pas un coût : c’était un atout stratégique. Paris l’a évaluée comme une cellule Excel, et a détruit une position locale qui avait mis des années à se construire. Devant l’étendue des dégâts, la Direction s’est vue contrainte de la rouvrir. Que de gâchis.
Le crash du plan Libellule
Annoncé comme une révolution devant influencer le monde de la distribution, il n’a en réalité apporté ni vision, ni innovation réelle. Quelques tests “premium”, relevant du bricolage masquant une logique unique : réduire les coûts et préparer la migration des boutiques AD vers Orange Store. Exemple le plus frappant : l’Atelier Réparation, unanimement plébiscité mais abandonné dès qu’il aura fallu investir, confirmant que l’économie prend le pas sur la satisfaction client.
La perte de clients, la chute de valeur et l’absence de différenciation ont obligé la Direction à multiplier les rustines d’urgence : crash programmes « Remontada » (plans de reconquête commerciale d'urgence) n°1 et 2, retour d’Open, Sosh à 1,99 €, plan de rétention clients « Stone ». Les économies ont été faites, mais au prix d’une baisse des parcs et de l’ARPU (revenu moyen par utilisateur), rendant le réseau moins rentable et nourrissant un cercle vicieux dangereux.Au cœur de l’échec, des incohérences persistantes : depuis plus de dix ans, AD et OS coexistent sans jamais avoir été harmonisés, deux modèles sociaux, deux SI, deux offres parfois différentes, deux expériences client, deux visions du métier. L’AD concentrait l’expertise technique, la gestion des flux et la valeur ; l’OS misait sur l’agilité et une productivité plus forte, mais au prix de conditions de travail plus dures, d’une pression accrue, de moyens réduits et d’un niveau de sécurité inférieur, ce qui alimente un turn-over massif. Comment imaginer attirer les personnels AD vers OS alors que le quotidien y est plus exigeant, plus risqué et moins protecteur ?
La Direction n’a jamais voulu créer un modèle unifié, cohérent et ambitieux. Résultat : un réseau fragmenté, affaibli au moment même où les clients reviennent massivement en boutique, recherchent du service et la valeur de l’expertise humaine. Orange est passé à côté de l’essentiel : construire un modèle capable de redevenir réellement premium au service du client !
AD : Un quotidien toujours plus difficile
La fierté des personnels des boutiques d’exercer leur métier s’affaiblit. Dans certaines boutiques, jusqu’à 50 % des effectifs sont des intérimaires ou apprentis, motivés mais incapables d’assumer les responsabilités sensibles. Les CDI, de plus en plus minoritaires, portent tout le poids opérationnel. Beaucoup d’incidents/incivilités ne sont pas déclarés, les précaires n’osant pas les signaler. Les équipes AD forment et accompagnent, mais leurs talents partent ensuite vers Orange Store, seul des deux réseaux les recrutant, rendant le collectif instable.
La disparition des offres à forte valeur : Maison Connectée, Atelier Réparation, SAV, Orange Bank, a vidé le métier de sa dimension premium. Le réseau propose désormais les mêmes produits que la concurrence, parfois à moindre coût, ce qui a « SOSHisé » (alignement sur la marque low-cost Sosh) l’offre et réduit la différenciation. Les vendeurs, faute de moyens, de stocks ou de services disponibles en boutique, orientent les clients vers le digital. Ils perdent leur capacité d’expertises, et voient s’installer frustration et perte de sens.
L’opérationnel est devenu un parcours d’obstacles : consignes et priorités commerciales changeantes, procédures lourdes, outils multiples qui ne communiquent pas entre eux. Un seul acte client peut mobiliser quatre ou cinq systèmes différents. Chaque clic supplémentaire augmente le risque d’erreur, le stress, l’attente… et donc les tensions avec les clients. Les objectifs collectifs accentuent les tensions internes, dégradent la cohésion et fragilisent encore davantage la motivation.
Les responsables de boutique doivent gérer plannings, incidents, conflits, polyvalence forcée et découragement, dans un environnement où tout devient plus complexe.
À cette fragilité structurelle s’ajoute une réalité désormais quotidienne : l’augmentation des incivilités, des agressions verbales et parfois physiques. Les vols à l’arraché, les braquages avec ou sans séquestration, les vitrines brisées et les intimidations se multiplient. Beaucoup de personnels avouent avoir la boule au ventre en ouvrant ou en fermant la boutique. Les agressions entraînent des arrêts maladie, des demandes de mutation... Malgré quelques mesures (caméras, vitrages renforcés, sas de sécurité), les équipes restent encore insuffisamment protégées.
Orange Bank : une erreur stratégique
En l’espace de six années, Orange avait investi près d’un milliard d’euros pour développer Orange Bank, avant d’en arrêter brutalement l’activité au moment même où le marché bancaire se restructurait. Une période pourtant idéale pour absorber des néo-banques fragiles et installer une véritable convergence télécom/finance (comme en Afrique). La fermeture a aussi eu un coût humain massif : environ 600 personnels ont été remerciés. Pour céder cette activité, Orange a dû verser une somme significative à BNP Paribas/HelloBank (dont le Président d’Orange est comme par hasard administrateur) afin de transférer le parc et se désengager. Un comble après un tel investissement !
Pour les boutiques, les conséquences ont été immédiates : disparition d’une offre réellement différenciante, perte de valeur commerciale, baisse des primes variables et affaiblissement de l’attractivité du réseau.
En renonçant trop tôt, Orange a sacrifié un levier de croissance, un outil de diversification stratégique et une source potentielle de fidélisation, laissant derrière lui un vide à tous les niveaux : groupe, personnels, et réseau de distribution.
Pas de bilan pour éviter les critiques…
Regain redessine l’organisation : lignes hiérarchiques et circuits de décision modifiés, responsabilités éclatées. Le passage de 5 à 9 directions opérationnelles (DO) sur la base du même argumentaire utilisé pour justifier en 2018 la réorganisation Ancrage Territorial qui a vu le nombre de DO passer de 9 à 5 DO, combiné à une centralisation forte dans la nouvelle DGP (Direction Grand Public) basée à Arcueil, crée un système disloqué où les périmètres opérationnels ne correspondent plus aux périmètres sociaux.
Depuis Ancrage Territorial, Ancrage Territorial Entreprises, Ancrage Réseaux Intervention, Libellule, les transformations se succèdent sans jamais être accompagnées de bilans transparents, chiffrés ou exploitables. On réorganise encore, alors que personne ne sait ce que les réorganisations précédentes ont réellement produit. Aucun retour sérieux n’a permis de mesurer leurs effets réels : ni sur les parts de marché, ni sur l’expérience client, ni sur la valeur créée, ni sur les conditions de travail …
Regain reproduit exactement ce schéma. Le projet ne s’appuie sur aucun objectif commercial, n’annonce aucun gain opérationnel, et ne promet aucune amélioration concrète pour le quotidien des équipes.
Pendant des années, les personnels évolueront donc dans un modèle incohérent, générateur de zones grises où la prévention des risques humains : alertes, suivi RH, gestion des situations individuelles seront impossibles.
Cette nouvelle architecture crée en outre un risque majeur de doublons de postes et de missions élargies. Dans la réalité du terrain, cela se traduira par moins de postes, davantage de tâches à absorber, et des évolutions de métiers imposées plutôt que choisies. Certains perdront leur cœur de métier, d’autres devront en assumer plusieurs dans un environnement plus centralisé.
Pour les cadres, la charge va exploser : déplacements accrus, multiplication des réunions, fatigue organisationnelle, perte d’efficacité dans un contexte de « réunionite aiguë » parisienne.
Enfin, l’uniformisation imposée menace directement l’identité des territoires, les cultures locales et les métiers spécifiques. Ce nivellement risque de créer tensions, incompréhensions et perte d’efficacité dans des équipes déjà fragilisées aux cultures : terrain, produits, applicatifs métiers, bien différentes.
Accompagnement et conditions de travail
La centralisation à Paris fragilise aussi toutes les promesses faites localement. Les réorganisations et les fermetures des boutiques, altèrent significativement la nature des tâches, les métiers des personnels et leurs fiches de poste. Les personnels craignent désormais qu’une parole donnée sur le terrain n’ait plus aucune valeur dans un système où toutes les décisions seront prises par leur nouvelle ligne managériale de DGP sans proximité et sans l’historique.
La CFE-CGC Orange constate l’absence de bilan de carrière et de projet de transition professionnelle pour aider les personnels à se former, se reconvertir et accéder sereinement à un nouveau poste, selon leurs compétences. Depuis des années, les personnels sont nombreux à devoir changer de métier, d’entité, à s’adapter par dépit, pour essayer de trouver une stabilité professionnelle et personnelle.
La Direction se cantonne à proposer des postes aux personnels sans s’assurer vraiment que les compétences requises soient en adéquation avec le souhait du salarié et se préoccupe rarement de préserver une excellence opérationnelle et fonctionnelle comme précisé dans l'accord Gestion des Emplois et des Parcours Professionnels (GEPP).
Pour beaucoup, l’évolution professionnelle a été et reste compromise par ces réorganisations. Le manque de dialogue social pèse fortement sur le moral des équipes.
L’enquête CNPS reflet de l’épuisement en AD
À la fin de l’année 2024, tous les indicateurs CNPS (enquête triennale) de l’Agence Distribution notés de +100 à –100 poursuivent leur chute et atteignent des niveaux jamais observés depuis son lancement. Ce ne sont plus des signaux faibles ni un simple malaise : c’est un avertissement clair sur les risques sociaux, humains et opérationnels qui pèsent désormais sur tout le réseau.
Le score de –87 à la question « Je crains que les réorganisations s’accélèrent » exprime une vive inquiétude face à des changements permanents, trop rapides et impossibles à absorber. Les personnels ont le sentiment d’être pris dans un tourbillon qui ne s’arrête jamais.
La note de –67 sur « Je risque de devoir changer de métier sans l’avoir choisi » renforce cette insécurité : elle traduit la peur de perdre son métier, son expertise, son identité professionnelle. Cette crainte est amplifiée par le –36 obtenu sur « La sécurité de mon emploi est menacée », signe d’un doute profond sur l’avenir même des postes.
La charge de travail et le stress opérationnel apparaissent tout aussi alarmants. Le –83 attribué à « Mon travail est soumis à des pics d’activité » combiné au –49 de « Mon travail me demande d’aller très vite » montre des personnels pressés en permanence, confrontés à des périodes de surcharge toujours plus fortes. Cette vitesse imposée accroît mécaniquement les risques d’erreurs, pouvant entraîner remarques ou sanctions comme autant d’éléments anxiogènes supplémentaires.
Enfin, deux indicateurs confirment la perte de sens et l’effondrement de la motivation. Le –46 sur « Mes perspectives de promotion sont faibles » et le –30 sur « Au vu de mes efforts, ma rémunération est satisfaisante » révèlent un sentiment d’injustice profond : les personnels estiment que leurs efforts, la pénibilité croissante de leur travail et l’intensification des contraintes ne sont ni reconnus, ni valorisés, ni récompensés.
La traduction de ces chiffres est limpide : les équipes AD se sentent mises sous pression, dépossédées de leur avenir professionnel et peu considérées dans leurs efforts.
Regain touche au cœur du réacteur d’Orange
Les performances d’Orange France se dégradent : faibles progressions de parcs, explosion des placements Sosh et perte de valeur commerciale. Et pourtant, Regain menace le réacteur vital du groupe :
- La France = 44 % du CA du groupe (18 milliards) ;
- Le Grand Public = 74 % des performances de la France ;
- Les boutiques = 52 % des performances Grand Public.
Autrement dit : Regain touche un périmètre qui représente à lui seul près de 16 % des performances mondiales du groupe. Mais ce périmètre est déjà : surexposé, fragilisé, agressé, sous-doté, épuisé.
L’enjeu est donc majeur en cas d’échec socialement mais aussi économiquement parlant.
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