La dérégulation ne doit pas justifier l'abandon de toute réglementation, bien au contraire !

Réglementation, régulation, dérèglementation, dérégulation, des concepts évoqués fréquemment mais quelle est leur signification réelle ? Dérégulation et déréglementation sont-ils réellement deux concepts différents s’interrogeait même un journalise des Echos en Février 2011 notant que les terminologies anglo-saxonnes entretiennent des ambigüités de sens[1] ?

Et si ces notions font souvent références dans les discours à des enjeux juridiques et économiques elles conservent un « sens social », qui, perdu de vue ou négligé conduit à l’apparition de pathologies sociales.

De la réglementation à la dérégulation  

La réglementation est l'ensemble des règles, juridiques en général, qui s'imposent aux acteurs de la vie économique et sociale au sein d'un espace donné. Ce sont les autorités politiques à  tous les niveaux, qui ont le monopole de la réglementation. La réglementation est toujours associée à  des sanctions encourues par les acteurs qui ne respecteraient pas les règles édictées. Elle constitue, au sens large, un ensemble d'indications, de lois, de prescriptions, de règles, et autres textes juridiques régissant une activité sociale. 

Le concept de régulation, hérité des recherches en cybernétique et en biologie intègre pour sa part les notions d’ajustement et d’adaptation à l’environnement. Appliquée à l’activité économique, le concept signifie la recherche de faits ordonnés, la mise en place de structures d’action conformes à son bon fonctionnement. La régulation c’est l'action de régler, de rendre régulier un mouvement ou un débit[2]. En science de l'automatisme et en cybernétique, la régulation constitue l'ensemble des moyens et des techniques qui permettent de maintenir en équilibre ou à un niveau souhaité un système complexe afin d'en assurer son fonctionnement correct.

Dans le domaine économique, la régulation désigne l'ensemble des mécanismes et des moyens d'action dont dispose un Etat ou une instance internationale et qui ont pour objectif soit la régulation de l'économie dans sa globalité (ex : Banque centrale) soit le maintien de l'équilibre d'un marché de biens ou de services (régulation sectorielle). Le besoin de régulation apparaît dans les secteurs d'activité où les conditions de marché favorisent la formation de monopoles ou d'oligopoles. La régulation a alors pour objet de combattre la formation d'un monopole. Elle est souvent confiée à une "autorité de régulation", à la fois indépendante des autorités publiques et des acteurs économiques, avec pour mission de veiller à ce que la concurrence s'exerce de manière effective. La notion de régulation, correspond à  l'idée que si le marché est bien un instrument essentiel de régulation de l'activité économique, il convient cependant, dans certains cas où la régulation par le marché est défaillante, de trouver de nouveaux instruments de régulation, autres que les règles contraignantes. Le débat porte dès lors sur les nouvelles régulations qu'il faudrait mettre en place. A noter que si la régulation définie les actions à mener pour assurer un bon fonctionnement du système à un rythme régulier, la réglementation se définit quant à elle comme un ensemble des mesures légales et réglementaires régissant une question donnée.

La déréglementation signifie étymologiquement, la suppression de la réglementation. Or la notion de déréglementation (en anglais deregulation) fait aujourd’hui référence dans les représentations sociales à une démarche menée par l'autorité publique pour faire évoluer les secteurs d'activité concernés au profit de la concurrence. Le mot aurait ainsi pris un sens essentiellement économique dans le langage courant, devenant synonyme de « derégulation », niant par la même le rôle social des règles. La déréglementation qualifie une approche économique qui prône que les anciennes réglementations constituent des contraintes freinant la croissance. D’'inspiration libérale, la dérèglementation vise à rétablir le libre jeu du marché, les règles bloquant ce libre jeu. En outre, la réglementation a un coût (il faut du personnel pour la construire et du personnel pour la faire respecter) et elle limite l'initiative individuelle[3]. Elle doit donc être remise en cause pour assurer la performance économique du système.

La dérégulation de son côté permet de réduire ou de supprimer la régulation d'un secteur économique ou d'une profession. Elle doit rendre plus libre la fixation des prix. Elle a pour objectif de favoriser la concurrence et l'innovation en s'appuyant sur le postulat d'une dynamique naturelle des marchés en question et de leur capacité d'autorégulation. La dérégulation se traduit par une réduction des interventions de l'Etat dans l'économie, la privatisation d'entreprises publiques, l'abandon ou l'assouplissement de réglementation.

 

Pour illustrer ces notions de régulation/dérégulation/dérèglementation nous pouvons comparer dans le domaine des télécommunications les objectifs des autorités de régulation (ART) par rapport aux objectifs des Pays concernant la règlementation de leurs télécommunications. Ainsi si les autorités de régulation ont pour mission d’autoriser l’arrivée de nouveaux opérateurs, ou de leur octroyer des licences, en veillant entre autres à ce que les marchés  concurrentiels desservent bien des zones où les coûts de revient sont élevés, les objectifs de la règlementation des télécommunications des pays font plutôt références au service public, le but des gouvernements étant que la prestation des services se fasse en conformité avec l’intérêt public tel qu’il est perçu sur le plan national. Le service universel des télécommunications (article L.35-1 du projet de loi) est un exemple de la réglementation des télécommunications. Il assure l’accès de tous aux télécommunications, y compris si nécessaire à des tarifs spécifiques pour certaines catégories d’abonnés notamment en raison de leur handicap ou de leur niveau de revenu.

Par ailleurs, une illustration éclairante de la problématique de la « régulation » serait l’exemple de la TV par ADSL. « L’ART s’est autrefois inquiétée du lancement par France Télécom de son service d’accès télévisuel par ADSL « Ma ligne TV ». Selon l’ART, le risque existait que France Télécom utilise sa position dominante sur la boucle locale pour conquérir le marché de la TV par ADSL et en retour renforce sa position sur le marché du haut débit. En effet ce risque tient à l’incompatibilité d’être simultanément client de « ma ligne TV » et d’un opérateur dégroupeur pour l’accès à internet haut débit. Dans ces conditions, l’ART considère que la position particulière de France Télécom sur la boucle locale justifie que le régulateur s’intéresse aux conditions techniques et économiques faites par l’opérateur historique pour permettre aux opérateurs alternatifs de construire des offres équivalentes à « Ma Ligne TV » par le dégroupage. En l’espèce, il s’agit de questions portant sur les conditions d’hébergement des équipements nécessaires dans les salles techniques de France Télécom, de certaines évolutions opérationnelles des processus techniques, et, éventuellement, des conditions de transport du trafic vidéo vers les DSLAM ». (Penard,T et Hierion N, « La régulation dans les télécommunications : une approche croisée de l’économie et du droit », 2005 ?)

Une dérèglementation « insensée » à l’origine de pathologies sociales

 Que ce soit par nécessité par contrainte ou par choix délibéré dès lors que les hommes se sont regroupés pour vivre ensemble, ils ont eu besoin d’établir des lois et des règles pour définir les modalités de leur vie en société.

Le droit se définit dès lors comme un ensemble de règles dont le but immédiat est de réguler l’existence sociale. La finalité du droit, vise la réalisation effective du « juste » dans l’existence sociale. L’élaboration de règles et de lois a donc un rôle social mais également psychologique. Ainsi le concept d’anomie fait référence à l’absence d’organisation sociale résultant de la disparition de normes et de règles communément acceptées. Pour Durkheim, le suicide anomique est lié au dérèglement de la société. Le suicide anomique intervient lorsque la réglementation, les normes sont moins importantes et deviennent floues. Les individus sont moins tenus, leurs conduites sont moins réglées, leurs désirs ne sont plus limités ou cadrés. Ils peuvent éprouver le "mal de l'infini" où tout semble possible alors qu'en fait tout ne l'est pas.

De même le philosophe Axel Honneth évoque les « pathologies de la liberté » des sociétés individualistes contemporaines. Le philosophe propose une interprétation radicalement nouvelle des principes de la philosophie du droit redéfinissant la place du droit dans le fonctionnement social. Selon Honneth, il existerait une souffrance liée au fait d’être "indéterminé". Dans le vocabulaire d’Axel Honneth, l’indétermination (Unbestimmtheit) réunit des phénomènes apparemment aussi disparates que la solitude affective, l’isolement social, la précarité, l’impuissance politique. À chaque fois, l’individu se trouve exclu de l’usage de ses compétences, renvoyé à une sorte de néant normatif qui le prive de toute prise sur le réel. Les individus souffrent d’indétermination lorsqu’un principe de justice est affirmé abstraction faite de ses conditions sociales de réalisation. L’oubli du contexte institutionnel de l’action au profit de valeurs redondantes est à l’origine de la plupart des "pathologies de la liberté". Enfin, selon le philosophe allemand à l’heure de la mondialisation, l’évolution prise par le capitalisme fragilise les conditions de reconnaissance mutuelle des individus. Si l’autre me considère comme un « objet » économique et non comme une personne digne de considération je ne suis pas seulement frustré de la reconnaissance à laquelle j’ai droit je suis aussi empêché de me constituer comme personne à mes propres yeux, je n’existe pas comme sujet[4].

 

En conclusion, à travers la mise à plat de ces définitions c'est bien la question de la place de l'économique dans nos sociétés qui est interrogée. Certains sous la pression d’enjeux économiques semblent avoir perdu de vue les fondamentaux de toute vie en société. Entre autres, ce besoin de règles nécessaires à la vie en groupe. Ces règles certes peuvent et doivent évoluer mais elles doivent conserver un sens social. L’économique seul ne fait « pas sens » pour les groupes sociaux. Remettre en cause des règles sous prétexte de performance économique n’a pas de légitimité au sein des sociétés qui vivent cette remise en cause de la réglementation existante comme une injustice. Cette dérèglementation fait ainsi naître chez les sujets des sentiments de vide et d’indétermination conduisant à des pathologies sociales et à des situations de crise tant sociale qu’économique.


[2]Ex : régulation du trafic routier
[3]Exemple : l'institution du SMIC est une réglementation. Elle transforme le fonctionnement du marché du travail non qualifié : en effet, le salaire, qui est un prix, devrait pour les libéraux baisser quand l'offre de travail non qualifié est supérieure à  la demande de ce même travail ; or, la réglementation empêche le salaire de baisser en dessous du niveau fixé par la loi donc en dessous du SMIC. Résultat : le salaire ne baisse pas suffisamment pour que l'offre et la demande de travail non qualifié s'égalisent et des offreurs de travail ne trouvent pas d'emploi et deviennent donc chômeurs.

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