Marseille : "La mort aux trousses" - Déclaration de la CFE-CGC Orange
Rédigé par Stéphanie CRESPIN le . Publié dans INNOV.
Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs,
Nous prenons aujourd’hui la parole avec gravité, mais surtout avec lucidité. Les événements dramatiques qui se sont déroulés autour du site de Massalia (Saint-Mauront), trois confinements successifs dus à des tirs, des rixes et des situations de violence extrême, ne relèvent ni de la fatalité ni de l’imprévisible. Ils constituent l’aboutissement direct d’années de déni, d’aveuglement et d’arbitrages immobiliers que nous qualifierons désormais sans détour de dangereux, irrationnels et irresponsables.
Depuis longtemps, tout indiquait que Massalia n’était pas un site, mais un risque.
Depuis longtemps, tout indiquait qu’il ne constituait pas un lieu de travail, mais une zone de vulnérabilité maximale pour les salariés.
Il est temps de nommer les faits sans détour : l’entreprise savait.
Dès 2021, un DUERP interne de la DTSI mentionnait noir sur blanc un risque de blessure par balle non maîtrisé. L’employeur avait donc pleine connaissance de l’exposition de ses agents à un danger létal. Aucune mesure sérieuse n’a été prise. Cette absence de réaction constitue non seulement une violation de l’obligation de prévention, mais aussi une interrogation profonde sur le choix de maintenir du personnel dans un périmètre que l’entreprise elle-même identifiait comme potentiellement exposé à des tirs d’armes à feu.
Les expertises Technologia de 2022 ont ensuite confirmé ce que les élus dénonçaient déjà : un site insécurisé, insalubre, architecturalement inadapté, et situé dans un quartier où les risques extérieurs étaient connus, documentés et parfaitement prévisibles.
Les constats sont sans appel : ventilation défectueuse obligeant les salariés à ouvrir les fenêtres malgré les dangers extérieurs ; terrasse exposée à vingt mètres de la rue, sans protection contre les projectiles ; parking saturé ; punaises de lit proliférant entre les bâtiments ; et un chantier permanent qui donne le sentiment de travailler sur une zone en travaux, jamais stabilisée.
Trois ans plus tard, rien n’a changé. Pire : certains problèmes se sont aggravés. Les risques identifiés depuis des années sont désormais banalisés, absorbés dans le quotidien opérationnel comme s’ils étaient devenus une fatalité. Les nuisances sanitaires persistent : après les punaises de lit, ce sont des puces de chats qui infestent désormais les moquettes. Les traitements ponctuels effacent les symptômes mais jamais les causes, et les salariés continuent d’évoluer dans un environnement que l’on ne qualifierait même pas de minimal pour un site tertiaire moderne.
Le constat est accablant : plusieurs incidents graves aux abords immédiats du site, dont trois ayant conduit au confinement des salariés. Des équipes d’Orange contraintes de se barricader sur leur lieu de travail en 2025 : voilà où nous en sommes. C’est la preuve la plus brutale de l’inconséquence totale des choix immobiliers opérés par la Direction.
La CFE-CGC tient cependant à remercier chaleureusement les agents de sécurité du site de Massalia, qui ont géré ces situations du mieux qu’ils le pouvaient avec les moyens dont ils disposaient.
Et c’est ici que nous devons poser les questions qui fâchent, mais qui s’imposent :
Orange est là, oui, Orange est là dans le quartier le plus pauvre de France, au cœur d’une zone devenue l’une des plus dangereuses du pays, frappée par une accélération inédite des violences ces dernières semaines. Mais pour quoi faire ? Pour y maintenir ses salariés en danger, sans jamais prendre pleinement conscience de la réalité quotidienne qu’ils subissent ?
Quand Orange va-t-il enfin trouver une solution pérenne pour assurer la sécurité de ses salariés ?
Devons-nous réellement attendre “l’accident de trop” pour qu’une prise de conscience ait enfin lieu ?
Quand Orange cessera-t-il de raisonner uniquement via des tableurs Excel, cherchant à faire des économies sur le dos de ses personnels au lieu d’assumer un véritable projet industriel et une stratégie territoriale cohérente ?
Et que font les pouvoirs publics, locaux et nationaux, pour garantir des conditions de travail dignes dans une entreprise du CAC 40 ?
Face à l’inertie manifeste des pouvoirs publics, qui peinent désormais à maîtriser des zones entières, la situation ne peut que se dégrader si l’entreprise persiste à y maintenir ses salariés. Ces secteurs, autrefois qualifiés de “sensibles”, deviennent peu à peu de véritables zones de non-droit où l’existence même d’un site tertiaire devient incompatible avec un minimum de sécurité.
À ces faits déjà accrus de gravité s’ajoute une incohérence immobilière majeure. La Direction justifie encore le choix de Massalia en prétendant que Nédélec aurait coûté trop cher à rénover, alors que les dépassements budgétaires massifs de Massalia rendent toute comparaison initiale insoutenable. Les arbitrages réalisés étaient dangereux, aberrants, contre-productifs et socialement destructeurs.
Dans ce contexte, affirmer que la fermeture temporaire du site serait une réponse adaptée relève presque du cynisme. Ce site n’aurait jamais dû accueillir des salariés.
Et, comme si cela ne suffisait pas, la Direction s’est permise de solliciter les CSEE pour demander au Comité National de Restauration (CNR) de financer la restauration des salariés empêchés de venir travailler. Il fallait oser.
La prise en charge des frais de restauration relève de l’employeur, et de lui seul.
Ce qui se produit à Marseille n’est pas un cas isolé : Grenoble en est la preuve flagrante. Le 12 janvier, deux blessés lors d’une fusillade à 200 mètres du site Pasteur. Le 18 février, affrontements violents et grenades de désencerclement à 150 mètres. Quelques jours plus tard, des coups de feu à 100 mètres. Les salariés confinés, un mail renvoyé vers l’IAPR pour soutien psychologique. À Clermont, un homicide en avril dans le secteur Delille, en lien direct avec les points de deal à proximité de l’entrée du site. C’est cela, aujourd’hui, la réalité de plusieurs sites Orange. C’est cela la réalité d’une politique immobilière qui sacrifie la sécurité des salariés sur l’autel de la réduction des coûts.
La CFE-CGC Orange exige une véritable prise de conscience : il est temps d’arrêter les discours et de passer enfin à l’action pour rétablir des conditions de travail dignes et protéger ceux qui font vivre l’entreprise au quotidien. Orange doit désormais reconnaître clairement la dangerosité de la situation pour ses salariés, écarter sans délai le danger et cesser de maintenir des équipes dans des zones où leur sécurité n’est plus garantie. Il n’est plus possible de rester sans agir. Les décisions de l’entreprise doivent enfin être cohérentes et étroitement corrélées avec les mesures prises, ou non prises, par les pouvoirs publics, dont les limites sont aujourd’hui visibles. Dans ce contexte, nous exigeons également la révision complète et urgente du Plan Schéma Directeur de l’Immobilier Territorial (PSDIT), afin de sortir durablement des périmètres à risque et de bâtir une stratégie immobilière enfin garante de la sécurité des personnels.


